(Le thème musical de Chiaki)

La course de l'animal était fluide, comme toujours. Les muscles roulaient sous la poils blancs, le souffle brûlant formait une buée éphémère autour de la gueule entrouverte, les babines ourlées de noir laissant entrapercevoir les crocs courbes et luisant. Les yeux jaune virant sur l'or fixaient la rue qui s'ouvraient devant eux, intelligents et vifs. Les oreilles triangulaires restaient dressées, captant les moindres bruits en cette fin d'après-midi. La truffe noire et luisante remuait doucement, capturant furtivement quelques odeurs tantôt alléchantes, tantôt écœurante, sans que jamais l'esprit de l'animal ne se détourne du poids sur son dos.

La cavalière se protégeait du froid en s'enroulant dans cette cape de fourrure argentée, le masque de terre cuite rabaissé sur son visage. Assise en amazone sur le dos de sa monture si particulière, son corps souple et fin épousait les moindres mouvements de cette dernière, se penchant en avant pour l'inciter à accélérer, se penchant dans les virages ou se redressant pour faire ralentir la chienne. L'harmonie entre les deux créatures était presque parfaite et c'est en douceur que l'animal stoppa sa course devant l'imposante bibliothèque de Konoha.

La jeune fille se laissa glisser au sol et ajusta sa jupe ainsi que sa cape avant de relever son masque, levant les yeux sur l'édifice. Sa main traîna sur la nuque de son amie, la caressant distraitement.

- Tu es interdite d'entrée depuis que tu t'es faite les dents sur les pieds de tables et de chaises...

"... J'étais petite !" s'offusqua la chienne.

- Ahaha ! Calme toi... et ne m'en veux pas, ma tendre amie.

Chiaki caressa la tête de la chienne avant de venir l'embrasser sur le bout de la truffe en lui tenant la gueule entre ses mains, ses doigts s'enfouissant dans la fourrure blanche et soyeuse. Elle retomba sur ses talons et laissa Koyuki poser son front contre son torse, passant les bras autour de son cou musculeux. L'adolescente ferma les yeux, appréciant ce moment de tendresse. Que ferait-elle sans sa précieuse amie !? Rien... elle serait morte depuis tellement longtemps. La gorge soudainement nouée à cet amour sans borne qu'elle portait à l'animal, elle poussa un soupir mêlé d'un vague gémissement et elle crispa les mains dans la fourrure, posant le front sur la nuque de Koyuki. Les larmes aux yeux, Chiaki resta immobile, étroitement serrée contre son amie. Le vent se leva, soulevant quelques feuilles et faisant danser les cheveux courts de l'adolescente. Enfin, elle s'écarta un peu et leva une main pour s'essuyer les éclats salés d'un geste délicat : du revers de son index plié.

"Pourquoi pleures tu ?" demanda doucement la chienne.

- ... Parce que je suis heureuse, répondit Chiaki avec un sourire tendre. Je suis heureuse de t'avoir.

Elle caressa encore la tête de l'animal avant de tourner les talons et d'entrer dans la bibliothèque. Les doubles portent se refermèrent dans son dos sans un bruit et elle s'avança parmi les grands rayonnages. La main levée à hauteur d'épaule, la jeune fille effleurait la tranche des livres du bout des doigts, les yeux levés vers le plafond. Perdue dans ses pensées, elle sentait parfois l'accroche d'un rouleau ou les feuilles agrafées d'un cahier. Un sourire rêveur aux lèvres, elle fit le tour de la bibliothèque avant de revenir sur ses pas pour trouver la bonne rangée de livres. Forçant son attention sur les titres imprimés tantôt à l'encre noir tantôt à l'encre dorée, Chiaki finit par trouver son bonheur. Enfin... si on pouvait appeler ça ainsi.

Les bras chargés de livre parlant de combats et de guerres, elle posa ses trouvailles sur une table éclairée par quelques lampes à pétroles. Tirant une chaise, elle s'assit et prit le premier ouvrage pour l'ouvrir avec précaution, les pages craquant un peu. Et les heures passèrent... L'adolescente se trouva petit à petit accoudée à la table, une main perdue dans ses cheveux en retenant sa tête alourdie de tactiques de combat et de termes militaires. Autour d'elle, les gens s'en allaient en silence tant et si bien qu'elle se retrouva seule en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Il faisait nuit et la réserve de pétrole était presque épuisée quand le bibliothécaire vint lui demander de partir.

Chiaki releva la tête, surprise et quelque peu désorientée avec cette brusque reprise sur la réalité. Elle observa, dépitée, la pile de livre qui l'écœurait. Toute cette violence, cette recherche de mort et de victoire... cette soif de puissance. Avec un soupir, elle referma sèchement l'ouvrage qu'elle tenait et toussa à cause de la légère poussière qui s'en éleva. Se couvrant le nez et la bouche d'une main, elle se leva et s'écarta de la table. Et c'est sur celle voisine que son attention fut attiré par l'éclat doux d'une couverture de cuir. Intriguée, elle s'approcha et souleva le livre pour en lire le titre.

- "Naissance et histoire du Commerce"...

Elle pencha la tête de côté, intrigué. Un vague sourire aux lèvres, elle se rendit dans l'allée correspondant à ce genre de littérature et trouva d'autre titres intéressant.

- "Initiation au marchandage"... "Le libre échange, ses atouts diplomatiques"... "Récits d'aventures de marchands itinérants"... !

Son cœur balança entre deux envies. Elle rangea le livre abandonné sur la table et alla faire de même avec ceux relatant les guerres et les conflits. C'est une jeune fille perdue dans ses pensées qui franchi les doubles portes de la bibliothèque, retrouvant sa chienne et caressant distraitement son poitrail. Son regard chocolat fixait l'horizon, rêvant de paysages inconnus, de sable chaud et de contrées brumeuses.

[à suivre]